Alexandra Louis

De quoi vous mêlez-vous Madame la Députée ?

À l'assemblée nationale

De quoi vous mêlez-vous Madame la Députée ?

08 Novembre 2020

 

Depuis mon déplacement en Arménie, un accord de cessez-le-feu a été signé entre le Gouvernement arménien, la Russie et l'Azerbaïdjan. Pour autant, les risques de violations de droits humains dans le Haut-Karabagh sont toujours bien réels. S'informer et sensibiliser est essentiel.

Certains m’ont demandé suite à mon séjour en Arménie « mais de quoi vous mêlez vous Madame la Députée ? Est le rôle d’une députée française de partir en Arménie alors que nous sommes en pleine crise sanitaire ? Ce sont des questions qu’on peut légitimement se poser dans le confort d’une démocratie et d’un état de droit. Pourquoi se mêler d’un conflit aux portes de l’Europe alors qu’il y a tant à faire en France ? »

C’est la tête remplie par les insoutenables témoignages et images que nous avons recueillis lors de ce séjour que j’ai dû tenter de répondre à ceux qui interrogent ma légitimité à manifester mon soutien à une cause qui me semble juste. Alors j’ai pensé à « La Crise de l’homme ». « Oui, il y a une Crise de l'Homme, puisque la mort ou la torture d'un être peut dans notre monde être examinée avec un sentiment d'indifférence ou d'intérêt amical, ou d’expérimentation, ou de simple passivité́. Oui, il y a Crise de l'Homme, puisque la mise aÌ€ mort d'un être peut être envisagée autrement qu'avec l'horreur et le scandale qu'elle devrait susciter, puisque la douleur humaine est admise comme une servitude un peu ennuyeuse au même titre que le ravitaillement ou l'obligation de faire la queue pour obtenir le moindre gramme de beurre. C’est en 1946, autant dire au lendemain de la seconde guerre mondiale qu’Albert Camus définissait ce qu’il appelait la crise de l’Homme. Près de soixante-dix ans plus tard, après l’édification de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, la création des nations unies, ces mots ont traversé l’histoire sans rien perdre de leur contemporanéité puisqu’il est possible de regarder distraitement derrière un écran l’imminence d’un massacre humain en pensant qu’il serait plus raisonnable de ne pas s’en mêler.

La guerre aux portes de l’Europe se transforme chaque jour un peu plus en une véritable épuration ethnique et pourtant il règne un relatif climat d’indifférence ponctué par quelques voix émues et tremblantes qui ici ou là tentent de briser le silence. Le silence est toujours un renoncement parfois mu par un certain nihilisme ou une vision du monde où la guerre ferait partie des vicissitudes du monde dictée par une triste fatalité. Quelle Histoire enseignerions-nous à nos enfants si certaines femmes et hommes étaient restés indifférents lorsque l’Europe et la France était menacées par les monstres d’hier ? Notre Histoire nous enseigne que le silence n’a jamais arrêté les élans de tyrannie et qu’à chaque fois il a même permis les pires forfaits. Quant à la fatalité, elle offre un illusoire confort moral. Il y a des enjeux qui dépassent nos frontières et il en va de l’idée que l’on se fait de la justice.

Le 27 septembre 2020, l’État azerbaidjanais a lancé une offensive militaire sur le territoire du Haut-Karabagh où vivaient plus de 120 000 arméniens. Il me faut employer le passé puisque à ce jour ce sont plus de 80 000 personnes dont de nombreux enfants qui ont dû fuir le Haut-Karabagh pour simplement pouvoir survivre en se réfugiant en Arménie. Nous en avons rencontré certains, surtout des femmes et des enfants hébergés à Gouris. Ils ont décrit le sifflement des bombes et des roquettes, l’arrivée des drones azéris, les nuits passées dans les abris avec l’angoisse de devoir ressortir, l’incertitude de devoir vivre sans nouvelles d’un mari, d’un frère ou d’un père et le déchirement intime d’être loin de là où ils ont construit leurs vies sans l’assurance de pouvoir un jour y retourner. La Turquie a apporté son concours à l’Azerbaïdjan en fournissant des armes mais également par l’envoi de plus de 300 mercenaires djihadistes depuis la Syrie, lesquels seraient encouragés à employer des méthodes cruelles et à pratiquer la torture. 

Ce théâtre de guerre laisse place aux pires exactions en violation totale du droit international et des droits humains les plus fondamentaux. Ce sont de nombreux soldats tombés au front et bien d’autres qui reviennent mutilés. A l’hôpital d’Erevan guidé par un médecin nous entrons dans une première chambre. Un journaliste russe nous explique qu’il a été touché alors qu’il était entré avec deux de ses confrères au sein de la cathédrale de Chuchi. Alors même qu’il avait enlevé son casque par respect de ce lieu de culte il a été projeté au sol par le souffle d’une explosion. Comme ses collègues, il est convaincu qu’il a été visé en tant que journaliste par les forces azéries. Dans la chambre suivante, se trouve un jeune homme de 19 ans, immobilisé sur son lit enveloppé dans un drap blanc, un visage d’enfant qui contraste avec la gravité de son regard. Parti au front à peine quelques mois avant la fin de son service militaire il a été visé par un sniper alors qu’il regagnait son char. Touché à la moelle épinière, il a été sauvé in extremis par ses frères d’armes mais ne remarchera probablement jamais. Sa mère et sa sœur à ses côtés n’arriveront pas à nous parler terrassées par l’émotion. Dans le même hôpital, des gamins de dix-huit ans aux jambes amputés, au visage arraché renvoient l’infâme image d’une génération sacrifiée. A des kilomètres de là, les forces armées du Haut-Karabagh et arméniennes tiennent encore le corridor de Lachine. Elles tiennent au prix du sang mais elles tiennent. Une de mes collègues dira une chose juste « il est une chose de parler de la guerre, il en est une autre de la voir ».  

Pendant notre séjour un cessez-le-feu a été négocié et chacune des personnes rencontrées comptait les minutes de répits qui permettraient d’épargner quelques vies, bien conscientes que la guerre n’est jamais vraiment en suspens. Le défenseur des droits de l’homme d’Arménie fait état des violations des droits humains rapportés depuis le théâtre de guerre. Il explique que l’ignominie s’invite jusque sur les réseaux sociaux puisque certaines familles de soldats arméniens ont reçu avec effroi les photos de leurs proches décapités. Pire, certains comptes Instagram des défunts soldats ont été utilisés par les azéris pour mettre en scène les corps mutilés des jeunes soldats morts. Il est supposé que les accès à ces comptes sociaux soient obtenus par la torture.  L’utilisation de drones et de bombes à sous munitions est également évoquée par le défenseur, photos et témoignages à l’appui. Des populations civiles ont été impactées et parmi elles des enfants. Pour parfaire ce sombre tableau, il nous décrit les écoles, lieux de cultes, hôpitaux, visés par les bombes et les drones. 

Nous avons rencontré les autorités arméniennes et en premier lieu nos collègues parlementaires arméniens qui au-delà de leur couleurs politiques ne parlerons que d’une seule voix pour dénoncer l’attitude belliqueuse et inique de l’Azerbaïdjan. Nous avons échangé avec le Premier ministre et le ministre de l’intérieur qui expliqueront qu’il y a en réalité trois ennemis : l’Azerbaïdjan, la Turquie et les djihadistes. L’implication de la Turquie fait cruellement écho pour les arméniens au génocide de 1915 encore nié récemment par le président turc. Sur ce qu’il convient d’appeler un drame humain, aujourd’hui la seule voix qui s’est clairement élevée en Europe est celle de la France par les mots du Président de la République lequel a notamment dénoncé l’ingérence turque. Cette ingérence a également été mise en cause par la Cour européenne des droits de l’homme. L’Azerbaïdjan a contesté la prise de position française arguant que la France devrait rester neutre. La France est co-présidente du groupe de Minsk et tient donc un rôle de médiateur qui appelle de sa part de l’impartialité. Toutefois, l’impartialité ne signifie pas la neutralité et encore moins le silence. A ce stade le silence serait coupable. En outre, si l’Azerbaïdjan accuse réciproquement l’Arménie, de certaines violations du droit international, les autorités azerbaïdjanaises refusent la mise en œuvre d’une mission d’enquête internationale. 

En ma qualité de membre de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe j’ai soutenu aux côtés d’autres collègues un projet de déclaration soutenant notamment l’organisation « d’une mission internationale spéciale de surveillance soit envoyée dans la région du Haut-Karabakh ». Les représentants azerbaïdjanais ont fermement refusé.  L’issue de la tragédie du Haut- Karabagh est encore incertaine et dépend de l’action des acteurs de la scène internationale dont particulièrement la Russie. Mais l’Union européenne a également un rôle crucial à jouer. Face à une telle situation chaque voix compte. En outre, pour répondre à l’inquiétude de certains de mes concitoyens, il serait illusoire, au-delà de l’aspect humaniste de cette situation, de penser que la France n’est pas concernée par ce qui se déroule dans cette partie du monde. Si nous laissons faire aujourd’hui nous légitimons tacitement l’emploi de la force et il est fort à craindre que ce qui se passe au Haut- Karabakh augure des heures sombres dans d’autres zones. 

Je reviens donc de mon séjour que j’ai partagé avec mes collègues issues de différentes formation politique avec un message d’alerte : si le corridor de Latchin cède et que le conflit perdure nous seront les témoins d’un véritable massacre. Le principal enjeu aujourd’hui est d’informer et d’appeler à réagir. Il est également nécessaire d’apporter un soutien humanitaire. 

Brisons le silence.


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